Vous avez lu pourquoi la municipalité de gauche conduite par un communiste Ange Baraglioli avait voulu donner les noms de Daniel Fery et de Anne Clade Godeau à deux rue de Villepinte. Nous avons pensé qu’il était anormal que des militants qui avaient combattu pour la fin de la guerre d’Algérie aient leur place dans notre commune à majorité ouvrière. Mais beaucoup ne connaisse pas ce qui s’est passé au métro Charonne ce soir là. C’est pourquoi nous vous offrons ces quelques pages - avec des photos et des explications provenant d’une brochure diffusée quelque jours après la manifestation- qui explique l’histoire d’un crime, un hommage aux victimes du crime, un réquisitoire contre ce crime.
Depuis des mois à l’ombre de la guerre d’Algérie, l’OAS, multiplie ses actes criminels, s’efforçant de créer le climat propice à l’instauration du fascisme.
Les tueurs assassinent des démocrates, tels Camille Blanc, Locussol, des ouvriers Mullard de l’aéroport d’Orly, Roger Boissier du Ministère des Affaires Etrangères, tombent victime du plastic.
Deux jours après un nouveau discours de De Gaulle, alors que le gouvernement annonce d’illusoires mesures contre l’OAS, le mercredi 7 février, en plein après midi, dix nouvelles charges explosent à Paris.
Ces attentats visent des personnalités politiques, des journalistes, des écrivains, des universitaires. Une fillette de 4 ans, Delphine Renard victime innocente des assassins, est défigurée et risque de perdre définitivement la vue. Ils n’épargnent personne, même pas les enfants.
Alors, l’indignation et la colère montent parmi les travailleurs, les démocrates. Au soir de cette journée les Unions Départementales C.G.T de la Seine et de la Seine et Oise proposent la réunion d’urgence des organisations parisiennes qui, dans les semaines précédentes, ont déjà organisé des actions antifascistes. Un appel pour une riposte immédiate est lancée.
Les Unions Départementales C.G.T de la Seine et de la Seine et Oise. l’union Régionale Parisienne
C.F.T.C l’U.N.E.F, le S.GN.E.N, la F.E.N, le P.C.F, le P.S.U, les Jeunesses Communistes, des jeunesses Socialistes Unifiées et le Mouvement de la Paix déclarent notamment : ‘’Une fois de plus la preuve est faite que les antifascistes ne peuvent compter que sur leur force et leur union, sur leur action’’.
‘’Elles appellent les travailleurs et tous les antifascistes de la région parisienne a proclamer leur indignation, leur volonté de faire échec au fascisme et d’imposer la paix en Algérie, en se rendant en masse : Jeudi 8 février à 18 h 30 Place de la Bastille.
A cet appel 60.000 antifascistes répondent et défilent en plusieurs grandes manifestations autour de la place de la Bastille. Ces manifestations, les organisateurs les veulent pacifiques et sans incidents. Les consignes sont élaborées en commun, comme est mis sur pied un service d’ordre chargé de veiller à leur application. Le principe dominant dans l’esprit de tous est d’éviter tout heurt avec la police.
A la manifestation partant du boulevard Henri IV, et qui se déroule pacifiquement jusqu’à la dispersion boulevard Saint-Michel, la preuve est faite que sans intervention policière il n’y a pas d’incident Par contre, au moment où commence la dislocation d’un important cortège qui boulevard Voltaire, vient d’arriver au métro Charonne, c’est l’agression sauvage des forces policières Les même brutalités ont lieu Place Voltaire.
Des centaines de manifestants sont couchés à terre, d’autres entassés et matraqués dans la station de métro. Bilan de cette terrible répression, des blessés par centaines et huit morts. Parmi eux, trois femmes, les huit assassinés étaient tous membres de la C.G.T. Sept d’entre eux appartenaient au P.C.F.Daniel Fery – Jean Pierre Bernard – Raymond Wintgens – Fanny Dewerpe – Anne Claude Godeau – Edouard Lemarchand – Hyppolite Pina Suzanne Martorell.
Si par ce crime le pouvoir espérait semer la crainte et la terreur et entraver le développement de la lutte antifasciste , le peuple allait lui démontrer qu’il se trompait. Dès le vendredi 9 février, dans toute la France à l’appel des organisation C.G.T, F.O, C.F.T.C, F.E.N des millions de travailleurs cessent toute activité de 15 heures à 16 heures en une première et imposante riposte.
Plus de 2 millions de grévistes en région parisienne et des milliers dans toutes les grandes villes du pays .Dans toute la France, en d’innombrables et puissants meetings, la classe ouvrière clame sa colère et son indignation.
Paris, sans bus, sans métro, sans radio, sans train, Paris la colère à la gorge, les poings serrés, exprime sa douleur, mais aussi sa volonté d’en finir avec l’OAS, ses complices et la guerre d’Algérie.
Dans la matinée du 10 février, le bureau confédéral de la CGT décide un arrêt national du travail d’une demi-journée, le jour des obsèques. Il appelle également les travailleurs à participer dans l’unité aux actions prévues par les confédérations F.O, C.F.T.C, pour le Lundi 12 février.
Le lendemain 11 février la F.E.N et l’U.N.E.F qui avaient refusé la veille d’appeler en commun avec la C.G.T à l’arrêt national de travail d’une demi-journée décident une grève de 24 heures pour le jour des obsèques.
Le 12 février, le gouvernement gaulliste applique la politique hargneuse, anti-populaire exprimée par le Ministre de la police Frey. La place de la République et ses alentours sont investis par 30.000 policiers. Malgré cela, des milliers de démocrates communistes, socialistes, P.S.U, Radicaux manifestent. De nombreux arrêts de travail marquent cette journée.
Cette massive réaction populaire témoigne déjà de la prise de conscience de masses plus larges et démontre la volonté de tout un peuple de ne pas tolérer l’assassinats des travailleurs.
Mardi 13 février, jour des obsèques, le peuple rend un grandiose et solennel hommage à ses martyrs. Il exprime son indignation et sa colère, il réaffirme dans l’action sa détermination de mettre le fascisme en échec.
Dans la région parisienne la C.G.T, la F.E.N, le P.C.F, le P.S.U, la ligue des Droits de l’Homme, le Mouvement de la Paix appellent en commun les travailleurs parisiens à faire grève et à venir aux obsèques.
Toute la vie économique cesse dans la capitale. Les métros, les trains, les bus s’arrêtent. L’électricité est coupée, la pression du gaz baisse. Il n’y a ni journaux, ni radio, ni télévision. Les écoles, les facultés ferment. Un million de Parisiens accompagnent les martyrs à leur dernière demeure.
Après l’hommage rendu à la chapelle ardente, dressée à la Bourse du Travail, l’immense cortège s’écoule lentement, silencieusement, jusqu’au Père Lachaise, où quatre d’entre eux reposeront à proximité du Mur des Fédérés, aux cotés d’autres morts pour la liberté et le progrès.
La police étant absente, l’ordre règne, aucune provocation n’a lieu. Un peuple entier par son calme, sa discipline donne encore une fois une grande leçon de dignité au Ministre Frey et au Préfet Papon, homme du crime et du mensonge.
Contrairement à leur prévisions, autour de ces grandioses obsèques, l’union des travailleurs venus en masse des chantiers, des bureaux, s’est renforcée.
Au soir du 13 février la C.G.T, la C.F.T.C, le S.E.P, l’U.N.E.F, la F .E.N, publient un communiqué qui précise ‘’Le 13 février 1962 est une nouvelle et grande étape dans l’action de la classe ouvrière et des démocrates contre le fascisme, contre un pouvoir qui leur réserve ses coups, alors qu’il manifeste, au contraire, la plus grande complaisance à l’égard des tueurs de l’OAS ‘’ »
Voilà ce que fut Charonne, voilà ce que fut une page de
notre histoire, dans sa lutte contre le fascisme, mais aussi contre tous ces
actes mus par la haine, et le racisme.
« De toutes les semences confiées à la terre,
le sang versé par les martyrs est celle qui
donne la plus prompte moisson »
Honoré de Balzac
Alphabet de nos rues : A B C D E F G H I J K L M N O P R S T V W